Il est fréquent que l’interculturel soit associé à l’international, aux différentes cultures nationales. Cependant, la culture est plus large que cela.
Selon la définition de Philippe Rosinski, coach interculturel, la culture d’un groupe se définit comme l’ensemble de caractéristiques que distinguent ses membres de ceux d’un autre groupe. Chaque groupe, quel qu’il soit, est imprégné de sa propre culture.
C’est le cas des entreprises qui construisent, dès leur création et dans le temps, leur propre culture organisationnelle. Celle-ci est formée par toutes les normes tacites qui sont validées par le comportement, les valeurs et les croyances de ses membres.
J’ai longtemps travaillé dans des entreprises « classiques » où le paradigme de la progression au mérite est dominant. Sur le papier, il s’agit du meilleur système du monde : à chacun revient une progression selon son apport et ses mérites dans l’entreprise. Dans la réalité, c’est tout autre chose.
Je me suis souvent demandé pourquoi des personnes de la même entreprise, de la même filiale, parfois, travaillaient comme des ennemis. Pourquoi ? Si, au final, nous avions tous le même objectif final : la prospérité de l’entreprise. Du moins, c’est ce que, peut-être naïvement, j’ai toujours pensé.
Cette question m’a tracassé pendant des années. J’ai trouvé la réponse dans l’interculturalité. Selon la grille d’analyse de Philipe Rosinski, la culture d’un groupe peut être appréhendée à partir de plusieurs dimensions. Une dimension a généralement deux extrêmes entre lesquels se positionne le groupe.
Par exemple, la dimension Définitions de l’identité et du but, comporte un extrême Individualisme dont la caractéristique est d’insister sur les attributs et les projets individuels. L’extrême opposé est le Collectivisme qui souligne plutôt l’appartenance à un groupe.
Une autre dimension concerne les Arrangements organisationnels. La Compétition qui promeut les succès et le progrès par la stimulation qu’engendre la compétition.Et la Collaboration qui consiste à promouvoir le succès et le progrès par le soutien réciproque, le partage de savoir-faire et la solidarité.
J’ai souvent évolué dans des entreprises dont la culture se basait sur les dimensions Individualisme avec des arrangements organisationnels prônant la Compétition. Je tiens à signaler que cela n’est pas une critique ni un jugement. Toutes les cultures sont porteuses et valables ; elles sont simplement plus ou moins adaptées selon les contextes et correspondent plus ou moins bien à un individu en particulier.
J’avais néanmoins cette petite épine dans mon pied qui me faisait toujours revenir sur la question et me dire qu’on pouvait évoluer d’une façon plus sereine dans l’entreprise. D’autant plus, qu’on serait plus heureux et plus productifs.
La lecture de Frédéric Laloux et de son ouvrage Reinventing Organizations, m’a fait découvrir une vision différente de l’entreprise (merci à Julian Jencquel pour la recommandation de lecture !). Un paradigme où l’entreprise n’est pas conçue comme une pyramide hiérarchique dont les échelons se gravissent au mérite.
Dans l’entreprise traditionnelle, correspondant au paradigme Orange, selon l’appellation utilisée par Laloux, la logique est plutôt analytique. Chaque individu fait un apport individuel à l’entreprise et sa réussite sera fonction de l’importance de sa contribution. Dans cette logique, il y a inévitablement une notion de Compétition dans l’accession au pouvoir. Celui-ci étant un jeu à somme nulle : plus j’en ai, moins aura le voisin.
La métaphore de cette entreprise est la machine où chaque pièce fait partie d’un engrenage. Et nous sommes tellement influencés par ce paradigme que nous avons du mal à imaginer qu’il puisse en être autrement.
Nous nous disons : « Comment produire et atteindre la performance si ce n’est pas ainsi ? » C’est la posture typique de l’ethnocentrisme : ma culture est basée sur des vérités absolues, il ne peut pas en être autrement.
Et pourtant, ces entreprises différentes existent. Ce sont les entreprises évolutives Opales. Non seulement elles existent, ces organisations ont fait preuve d’une performance étonnante, constante au fil des ans, malgré les crises et quelque soit leur secteur d’activité.
Leur fonctionnement se base sur l’auto-gouvernance. D’une approche analytique et basée sur le mérite individuel, on passe à une approche systémique où tous les éléments sont interconnectés et en interdépendance. La métaphore n’est plus la machine mais l’écosystème, souple et en constante évolution, s’adaptant à son entourage.
La démarche est Collectiviste et Collaborative. Son principe de base est le pouvoir partagé : plus un membre a du pouvoir individuel dans sa sphère de compétence plus il pourra le déployer au profit de l’organisation (et non sur ses membres comme c’est le cas de l’organisation hiérarchique).
Chaque membre de l’organisation peut y contribuer avec tout son potentiel de créativité. On aborde ici une autre dimension culturelle. Nous ne sommes plus dans une logique de Protection, suivant laquelle la vie professionnelle est cloisonnée des autres domaines de vie, où nous portons le masque respectable de ce qui est admis dans l’organisation. Nous sommes plutôt dans le spectre du Partage, où la personne apporte la globalité de son humanité avec tout son potentiel de créativité.
Nous sommes, bien entendu, face à deux paradigmes différents. Ce n’est pas toujours le cas. Cependant, il y a souvent des différences importantes d’une entreprise à une autre, même si elles évoluent dans le même paradigme de management.
L’interculturalité traite aussi de ces ponts à bâtir entre les cultures d’entreprise. Nous ne sommes plus dans le domaine de l’international mais cela reste de l’interculturalité.
Avoir ce recul sur la culture de l’organisation nous évite de nombreux faux pas dans nos relations avec d’autres organisations. Toute culture est porteuse d’une vision du monde. Changer de lunettes de temps en temps peut nous ouvrir à des possibilités insoupçonnées.
Ainsi parlait Lao-tseu : « Celui qui ne sait pas, voit toujours des forces opposées et contraires. Celui qui sait, voit dans les aspects contradictoires des complémentarités nécessaires. »
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