top of page
Photo du rédacteurFabiola Ortiz

Épisode 6 : Cultiver son Regard Pygmalion


Retranscription de l'épisode 6 : Cultiver son Regard Pygmalion.


Invitée : Dina Scherrer


Épisode publié le 2 septembre 2022


Pour ce nouvel épisode, j'ai la joie et l'honneur de recevoir Dina Scherrer, coach et praticienne narrative depuis 14 ans. Dans une première partie de carrière, elle a travaillé pendant 20 ans dans le secteur de la communication et la publicité. Son dernier poste : Directrice de Développement et de la Communication pour le plus grand groupe publicitaire au monde.


En tant que coach, elle a travaillé en milieu scolaire (elle a écrit le livre « Échec scolaire : une autre histoire possible ») et aussi bien en entreprise. Elle a développé la méthodologie d'accompagnement narrative de l'Arbre de Vie, conçue par David Denborough et Ncazelo Ncube. Dina a même publié un livre grand public sur cette méthode, un très bel ouvrage « Mon Arbre de Vie : Dessiner les moments importants de sa vie ».

Aujourd'hui, elle vient nous parler de sa dernière publication : « La magie de la bienveillance : Développer son regard pygmalion ».


Donc, sans plus attendre, je vous laisse avec Dina :


Fabiola Ortiz (FO) : Bonjour Dina ! Je suis ravie de te recevoir dans le podcast pour ce nouvel épisode consacré au Regard Pygmalion. Je suis ravie aussi parce que c'est toi qui m’as initiée aux Pratiques Narratives. Un jour, tu m'as dit : « tu sais, tu as une posture très narrative dans ton coaching, donc je pense que ce serait bien si tu si tu regardais de ce côté-là. » Et voilà ! Je t’en serais éternellement reconnaissante parce que j'ai trouvé ma pratique. Et puis, c'est toi aussi qui m'a lancé le défi de traduire le livre de David Denborough. Donc, je suis super contente et émue de ta visite pour nous parler du Regard Pygmalion.


Dina Scherrer (DS) : Merci Fabiola ! Moi aussi, je suis ravie d'être là. Merci vraiment de me donner l'opportunité de partager un petit peu ma pratique. Moi aussi, je suis émue d'être là avec toi.


FO : Pour ceux et celles qui nous écoutent : j'adore le principe de ce que tu véhicules et incarnes dans ta pratique. Comme je le mentionnais en introduction, tu as fait un ouvrage sur « La magie de la bienveillance : Développer votre garde pygmalion et améliorer vos relations. » L'idée centrale est comment le regard que l'on porte sur un individu forge son identité. Pourrais-tu développer un peu plus ce concept ?


DS : Oui, bien sûr ! Écoute Fabiola, c'est vraiment l'histoire de ma vie parce qu'effectivement on a une histoire avec chaque personne que l'on rencontre dans notre vie. Il y a des gens qui nous ont fait grandir, on en garde un petit souvenir, on ne se souvient pas de tout le monde ! Et il y a des gens qui nous dégradent, souvent sans le vouloir. Je pense que ce n'est pas toujours conscient. Pourtant, il y a des regards qui nous dégradent et des regards qui, à l'inverse, nous regradent. À commencer dans les familles.


J'ai eu la chance d'avoir une famille avec une maman très aimante qui avait un amour inconditionnel pour nous. Donc, ma première partie de vie était belle. Après, quand je suis rentrée à l'école, cela a changé. Dans ma famille, j'avais l'impression d’être normale. Arrivée à l'école, je ne me suis plus sentie très normale. Pour la première fois, j'entendais des choses sur moi que je n'avais jamais entendues. C'est dans le système scolaire que j'ai entendu les premiers mots pas très agréables sur moi, qui étaient peut-être vrais. Mais j'ai quand même entendu : « elle est lente », « elle a des difficultés », « on a l'impression qu'elle a des problèmes d'apprentissage », etc.


Je pense que, lors de mes premiers pas en primaire, je devais être un peu timide, ou je ne sais trop quoi, ce qui fait que je ne parlais pas beaucoup et que je donnais l'impression de pas m'incarner. Donc, petite, j'ai commencé à entendre ça. Avec déjà la conscience que je comprenais ce qu'on disait et que je comprenais même parfois les réponses mais je n'arrivais pas à les donner. En fait, il y avait quelque chose qui m'en empêchait. J'avais un peu peur.


FO : Il y avait donc ce regard qui pesait sur tes capacités à évoluer dans ce milieu-là.


DS : Exactement ! Donc, quand j'ai entendu ça la première année, eh bien, je me suis un peu conformée à ça. Comme si j'étais enfermée dans cette histoire. Après, quand je rentrais chez moi, j'étais à nouveau normale. Ma mère ne comprenait pas quand on lui disait : « votre fille ne parle pas, on a l'impression qu'elle problème. » Parce qu’à la maison, j'allais très bien.


FO : Ce qui est incroyable dans cette histoire et sur tout ce qui a été écrit par toi, et par d'autres, sur le Regard Pygmalion c'est qu’il y a une certaine prophétie autoréalisatrice. C’est comme si les mots avaient un certain pouvoir.


DS : Absolument ! On me regarde comme quelqu'un qui a des difficultés, je deviens quelqu'un qui a des difficultés. On me regarde comme quelqu'un qui, à l'inverse, a des capacités, je deviens quelqu'un de capable. J'en ai fait l'expérience de ma vie. Dans les premières classes de l’école, je me suis conformée à ça. C'est comme si je ne pouvais pas montrer autre chose en cours. Après, j'ai eu d'autres maîtresses qui étaient peut-être un peu plus gentilles. Mais c'était comme si je m'étais un peu enfermée dans cette histoire. J'ai redoublé une classe en primaire.


J’avais un blocage avec l'école. Enfin, je m'étais conformée à ça. Et puis, quand j'arrivais dans une classe, on avait prévenu les autres profs : « Attention ! Elle a des difficultés ! » Donc, avant même qu'ils me connaissent, ils savaient que j'avais des difficultés.


FO : Donc, une boucle sans fin !


DS : Exactement. Voilà une expérience sur un regard qui m'a un peu dégradée à l'école. Quand j'ai quitté l'école, du coup assez tôt, je n'ai pas fait de grandes études. J'ai passé un CAP. En fait, j'ai quitté le système scolaire assez rapidement.


FO : Je tiens à le dire aussi aux auditeurs : que ce qui est incroyable, c'est qu'effectivement tu as fait ce CAP et que t'as fait une carrière brillante en entreprise, de très haut vol, non seulement en tant que coach mais en tant que top exécutive du premier groupe publicitaire au monde.


DS : Absolument ! J'ai commencé, évidemment, au plus bas niveau puisque j'avais un CAP Sténodactylo. J'ai commencé par le poste de secrétaire de la secrétaire. La secrétaire avait une secrétaire : c'était moi !! Donc, j'ai commencé là et puis, petit à petit, j’ai avancé.


Je me souviens de mon premier entretien. En fait, c'est là où je me suis dit « j'ai peut-être trouvé un endroit. » Parce que, quand j'ai quitté l'école, plus personne ne disait ça de moi. La seule personne qui pensait encore ça de moi, c'était moi-même. J’avais internalisé cette histoire.


Donc, j'arrive pour passer un entretien. À l'époque, il fallait passer des tests. On tapait à la machine. Mais moi, j'étais un peu impressionnée. Le monsieur qui voulait m'embaucher était, à l’époque, le patron du service. Il me fait faire un test. Je faisais un peu des fautes d'orthographe parce que je n'avais pas un grand niveau au départ. C'est lui le premier qui m'a regardé en me regradant un peu. Il a vu que paniquais un peu, que je faisais un peu de fautes, donc, il a enlevé la feuille et il m'a dit : « On va recommencer. Excusez-moi, je me suis trompé. » Et là, il recommence, il m'a dicté le texte en m’épelant pratiquement chaque mot. Donc, au final, je n'ai pas fait de fautes. Il m'a dit : « Bah, c'est parfait ! Vous pouvez commencer ! »


En fait, il a vu autre chose chez moi. C'est la première personne que j'ai rencontrée dans le milieu professionnel. On a pu discuter et, quelques mois après, je lui ai demandé pourquoi il m'avait embauchée parce que, sur le papier, je n'étais sûrement pas la meilleure. Il m’a dit avait pris quelqu'un qui lui paraissait déterminée, souriante, dynamique. Enfin, tout ce que je ne pensais pas. Il a regardé ailleurs et non pas les fautes d’orthographe.


Alors, aujourd'hui on dit : « Une faute sur un CV, ce n'est pas la peine ! ». Tu vois. Là, il s'en foutait des fautes. Il s'est dit : « Tiens ! Elle a l'air dynamique, elle a l'air sympathique et déterminée. » Il a été ému par moi. En fait, il a misé sur moi.


FO : C'est intéressant ce que tu dis, qu’en sortant du système, plus personne ne te donnait ce regard mais que toi tu le traînais. Ça me donne l'image d’un boulet à la cheville. Parfois, on prend ces regards et discours que les autres ont sur nous et on les intègre à notre identité comme si c'étaient des vérités.


DS : Des vérités, absolument ! C'est pour ça que j'adore les Pratiques Narratives. On en parlera peut-être tout à l'heure. Comment on décolle les étiquettes. En fait, dans les Pratiques Narratives, la personne n'est pas le problème.


En tout cas, il m’embauche et puis il me voyait comme quelqu'un de capable. En fait, sous son regard, c'est comme si je redevenais normale. Je pense que je suis quelqu'un de plutôt curieuse, dynamique, etc. Je n’ai pas fait beaucoup d'études, mes études je les ai faites en travaillant. En fait, je suis autodidacte. Ce qui fait que, chaque année, j’ai avancé.


À un moment, sa secrétaire est partie donc il m'a prise comme principale et j'ai remplacé la Secrétaire. Petit à petit, chaque année, j’ai grimpé un échelon et un jour j’ai remplacé ce monsieur. C’est lui qui a voulu que je le remplace parce qu'il m'apprenait son métier. Il m’amenait un peu partout, il m'a dit « Dina rend les choses possibles ». En fait, j'essayais de faire ce qu'il n'aimait pas faire. Je l'avais observé, je voyais qu'il n’aimait pas patienter trop au téléphone donc je disais : « Si tu veux, je l'appelle et quand je l'ai, je te le passe. »


Tu vois, je m'étais rendu indispensable. Il me trouvait hyper efficace. À un moment, il m'a appris son métier et puis, il me léguait son métier. Je l’ai remplacé au bout de six ou sept ans.


FO : Ce regard : Dina rend les choses possibles


DS : Oui, c’est ce qu’il disait de moi. « Dina rend les choses possibles ».


Voilà ce que je peux dire sur ces trois histoires que j’ai mises à disposition dans notre discussion : on me regarde dans ma famille comme quelqu'un de normale, je suis normale. On me regarde à l'école comme quelqu'un de pas normale, je deviens pas normale, en tout cas, dans le système scolaire. Je reviens dans l'entreprise et peut-être que j'aurais pu tomber sur quelqu'un d'autre que Christian : quelqu'un qui voie « elle fait des fautes, je n'en veux pas ». J’aurai pu rester avec cette histoire.


Mais lui, il répare mon histoire. Tu vois le pouvoir qu'on a avec le regard qu'on porte sur une personne. On a le pouvoir de la dégrader ou de la regrader. Donc, en devenant coach, j'ai choisi sciemment de regrader les gens.


Quand on devient accompagnant, enfin en tout cas narratif, je me suis dit : « Je vais regrader les gens » et, en choisissant de regrader les gens, on choisit en fait de ne pas les dégrader. On fait très attention parce que personne ne choisit de dégrader les gens. Les gens le font sans savoir. Mais, quand on choisit de regrader, on choisit de pas dégrader. On est très attentif.


FO : On est très intentionnel sur le regard qu'on va porter parce que on a conscience aussi de l'impact que peuvent avoir les mots et le regard portés sur l'autre.


DS : C'est formidable, vraiment ! Ensuite, dans ma vie, alors j'ai rencontré d'autres gens qui m'ont peut-être à nouveau regardé comme quelqu'un de pas capable et à nouveau des gens qui me regardaient comme capable. J'ai vu là le pouvoir du regard sur les personnes, comme c'est important. Mais j'en ai pris conscience bien plus tard, quand je me suis formée au coaching : que vraiment le regard qu'on porte sur un individu force son identité.


Mais j’été déjà, sans le savoir, quelqu'un qui regrade parce que j'étais très sensible à ça. Ce n’est pas moi qui vais dégrader quelqu'un parce que je sens ce que ça fait que d'être mal regardé.


FO : Tu travailles aujourd'hui beaucoup en entreprise. Au début, tu as aussi travaillé en milieu scolaire. J’ai mentionné un de tes livres, un très beau livre qui s'appelle « Échec scolaire : une autre histoire possible ». Donc, tu as travaillé avec des jeunes qui étaient en échec scolaire pour réussir à retourner leur situation.


DS : Déjà, Fabiola, quand j'étais dans la publicité j'ai terminé ma carrière en tant que Directrice du Développement et de la Communication du plus grand groupe de publicité mondiale. Ça c’est pour dire le gap entre CAP sténodactylo et là où je suis arrivée.


Cela n’a pas été simple pour moi parce que, même si j'y arrivais, j'ai grandi etc, il y avait quand même, dans les situations de stress, cette ancienne histoire qui venait se réveiller de temps en temps. Tu vois, par exemple, quand quelqu'un te dit au boulot « Bah, t'as pas compris ! ». Ce n'est pas grave pour quelqu'un de normal. « C'est bon, bah explique-moi » Pour moi, lorsqu’on me disait « Bah, t'as pas compris ! », c'est comme si j'avais le Syndrome de l'Imposteur. C'est comme si je me disais : « Ça y est ! Il a vu que je suis une grosse nase, que je n'ai pas le Bac, etc » C'était terrible pour moi, ça venait réveiller cette histoire.


Je me disais : « Ça y est, l'histoire est finie ! Là je rêve que je suis à ce niveau-là, ce n'est pas possible. Ils vont voir un jour que je n'ai pas le niveau. » Alors, qu'en fait, j'ai gagné quand même mes galons. Mais ça restait fragile.


FO : D'ailleurs, Dina, c'est quand même une très belle performance. Dans notre société, on a aussi ce truc des titres à tire-larigot, alors que l'expérience acquise sur le terrain c'est là aussi l'école de la vie, c’est comme tu apprends.


DS : C'est sûr que j'ai grimpé les échelons. Chef de publicité après chef de groupe après machin. Enfin, j'ai grandi mais chez moi les titres avaient de l'importance comme je n'avais pas de diplôme. Je me suis construite, identitairement et au bout d’un moment, comme étant directrice. C’étaient un peu mes galons, en fait. Pour certains, ce n'est pas si important. Pour moi, ça l’était, c'est comme si j'avais des diplômes.


D'ailleurs, quand j'ai voulu être coach, j'ai refait des études universitaires, enfin, je n'en ai jamais fait mais j'étais obligée d'en faire puisque je me suis formée à Paris 8. J’ai un DESU de Ressources Humaines et Coaching. Il a fallu que je valide des acquis pour faire d'études universitaires. Donc, mes 20 ans en tant que directrice du développement etc m’ont valu quand même un BAC plus 5. Donc, aujourd'hui j'ai un BAC plus 5 sans avoir passé le BAC. Je suis ravie !


Du coup, j'ai pu faire ces études de coach et là j'ai vu comme c'est magnifique. J'ai fait une année d'études que j'ai adorée. J'ai vu le côté vertueux quand on choisit enfin un métier. J'ai répondu à la question qu'on m’avait posée à 16 ans : « Qu'est-ce que tu veux faire ? » Je n'en savais rien : À 40 ans, je savais que je voulais accompagner les gens.


Donc, j'ai passé un diplôme pour ça et je suis sortie majeur de ma promo. J’en suis très fière.


Dès que je suis devenue coach, mon idée était d'accompagner les gens en entreprise parce que je n'ai jamais été accompagnée. Cela m'a manqué parce que j'aurais aimé l’être. J’avais eu, quand même, pas mal de complexes par rapport à mes études et des sentiments d'illégitimité. J'aurais aimé, de temps en temps, être accompagnée pour regagner en confiance mais je ne l'ai pas été.


Donc, quand je suis devenue coach, je me suis dit j'aimerais vraiment accompagner ceux qui souffrent en entreprise. Mes pas m’ont guidé aussi vers les écoles. En fait, j'accompagne ce qui m'a manqué. J'aurais aimé qu'on vienne me voir à l'école et qu'on pose un autre regard sur moi, j'aurais aimé qu'on me facilite un peu la tâche en entreprise parce que d'abord, il n’y avait pas beaucoup de femmes à haut niveau-là où j'étais. Donc ce n'était pas facile d'être une femme, pas facile d'être une femme sans diplômes.


J'ai beaucoup menti parce que, quand j'étais à un haut niveau et que, à table, chacun me demandait ce que j’avais fait comme étude, en me disant : « Moi, j’ai fait HEC, etc. » Je n'assumais pas mon CAP sténodactylo. Je répondais : « Ben moi aussi j'ai fait HEC. » Quelle promo ? Je ne te le dirai pas, ça ne te regarde pas ! Mais c'est vrai que j'ai pas mal menti. Ce n'est pas que j'aime mentir, c'est que je me protégeais un peu.


FO : En fait, ce que je retiens de ce que tu me dis c'est que c’est un beau moyen de de résistance : de te dire « je ne vais pas m'exposer à un discours dominant où on ne vaut que par les diplômes. »


DS : Tu vois, ça m’émeut tellement que tu dis ça. J'en ai la chair de poule. Parce que moi, en tant que Praticienne Narrative chevronnée, je n'avais pas vu mon mensonge comme un acte de résistance alors qu'en fait oui c'était vraiment ça. C'était ma manière de résister parce que j'aurais été rejetée, peut-être, ou en tout cas pas acceptée. Je pense que c'est un acte de résistance : je n'ai pas le BAC mais je suis là quand même. Cela veut dire pas mal de choses.


FO : Parfois cela atteint des niveaux ridicules. Je te raconte une anecdote du début de ma carrière de coach. Je suis quand même biculturelle, je viens du Costa Rica, j'ai vécu et travaillé dans 4 pays différents. Donc, tu vois, j'ai une certaine légitimité par rapport à l'interculturalité. J'ai un peu exploré cette voie au début de ma carrière de coaching. Il y a un client qui me dit : « Mais, est-ce que vous avez une certification d'interculturalité ? » Alors, je lui parle de mon expérience, je lui dis que, effectivement, je suis en train de faire une certification spécifique de Rosinski. Bref, il me dit : « Alors, vous me dites que c'est dans 3 mois, alors, on en parle dans 3 mois. » Alors, c'est une certification qui est très bien mais elle est de 3 jours. C'est-à-dire que, dans la tête de cette personne, une certification de 3 jours comptait plus que 20 ans d'expérience sur le terrain interculturel. Et c’est ce que tu dis : quelque part, je me positionnais aussi pour me protéger de quelque chose d’illégitime, d’un regard qui est associé à un discours dominant qui nous rabaisse : « Si tu n'as pas les diplômes, tu n'es pas un des nôtres. » Je trouve que c'est assez violent, en fait.


DS : Donc, c'est assez intéressant parce que, du coup, venant d'où je venais, quand moi-même j'embauchais des gens, j'embauchais énormément parce que j'étais à haut niveau, je résistais à ça. Évidemment que tout ça est très vertueux. Christian m'avait prise avec mes fautes d'orthographe, au départ. Moi, j’ai fait la même chose.


Par exemple, mon patron avait fait HEC, il ne voulait embaucher que des gens d’HEC. J'ai résisté à ça. Il y avait, de temps en temps, des CV de jeunes filles ou de jeunes hommes qui venaient d’écoles bien moins prestigieuses, et bien, j'en ai embauché pas mal. Bien évidemment, je regardais quand même qui ils étaient, etc. D’où je viens, je regardais plus largement.


FO : J’ai retenu ce que tu disais dans ton livre : qu’à un moment, tu allais expressément contre la consigne « on ne recrute que des HEC »


DS : Ah oui ! complètement !


FO : Et que toi, tu disais : « Non ! je résiste à ça ! » Et que tu allais explorer et que tu étais tombée sur des pépites merveilleuses.


DS : Oui, exactement ! Et puis, heureusement j'étais déjà à un niveau où je pouvais faire un peu ce que je voulais. Mais, à chaque fois, il fallait que je défende ma position. Ce n'était pas facile mais, bien sûr, c'était très important pour moi de casser ça.


FO : Il y a une autre expression et ce sont tes mots. Je le disais que tu es un mentor pour moi et quelqu'un de très inspirant. Donc, tes mots, je les garde. J’ai donc gardé cette expression que je trouve très belle et qui est une autre façon de parler du regard pygmalion : « honorer le plein. » C’est-à-dire, d'aborder les gens et leur expérience et leur parcours par rapport à tout ce qu'ils ont et pas par rapport à tout ce qu’ils n’ont pas.


À un moment, dans une école de commerce, j'accompagnais des jeunes Masters qui rentraient sur le sur le marché du travail. Je sentais chez eux comme une espèce d'angoisse. Ces jeunes qui étaient angoissés par ce qu'ils n'avaient pas, en fait, parce que « j'ai un profil atypique », « parce que je n'ai pas fait les bons stages », ou « je ne suis pas HEC ». Alors qu’ils sortaient d’une très bonne école de commerce. L'accompagnement que je faisais se focalisait sur : laissez tomber ce que vous n'avez pas ou ne pensez pas voir. Qu'est-ce que vous avez ? Comment vous le mettez en valeur ? Et c'est fou comment tu avais une espèce de déclic dans la confiance de ces jeunes par par rapport à ça. J'avais beaucoup retenu cette approche d’honorer le plein.


DS : Absolument ! Alors, quand je vais dans les écoles, par exemple, parce que moi j'ai choisi d'accompagner aussi les jeunes en difficulté en raison d'où je viens, donc, je vais dans des classes où ils n’ont pas beaucoup d'estime d’eux-mêmes. On les met dans les classes un peu à part, d'enfants en difficulté, les classes de SEGPA,[1] par exemple. Souvent, pour leur montrer, pour que ce soit un petit peu parlant, je leur dis « Venez avec votre bulletin » (en sachant qu'il n’est pas très bon, mais je le fais exprès). La réponse : « Non, madame ! Vous êtes sûre que vous voulez voir ça ? » Et puis, je leur dis : « Si je ne regarde que ton bulletin, où il y a marqué que tu as des difficultés, etc, est-ce que j'ai une bonne image de toi ? Est-ce que tu as l'impression que je fais connaissance avec toi ? » Il me dit : « Non, pas du tout. » Alors, justement, voilà le travail qu'on va faire ensemble : c'est de me montrer ce qui n'est pas là-dessus. » Voilà ! Tout ce qu’il n'y a pas là-dessus, au-delà du « ne travaille pas », « n’écoute pas », « a des problèmes de comportement. »


C’est ce qui m'intéresse. Ce n’est pas non plus de les regarder comme des jeunes brillants. Je ne sais pas qui ils sont, ces jeunes. Une page blanche, quoi ! Dis-moi qui tu es. Dis-moi ce qu'il n’y a pas marqué là-dessus, que je fasse connaissance avec toi en dehors de ton bulletin. C'est ça l'idée. Il faut leur donner la chance de nous montrer autre chose et pour ça, il faut porter sa curiosité ailleurs, honorer le plein. Ok, c'est un enfant en difficulté. Aujourd'hui, il a une histoire avec ça mais il aime peut-être le foot, peut-être que c'est quelqu'un de déterminé, c'est le frère de quelqu'un. Il ne vient pas de nulle part. Aller honorer le plein.


FO : Et tu vois, ce que j'ai constaté aussi dans ces accompagnements, c'est qu’ils ont plein de valeurs, de compétences et cela n’est pas forcément valorisé dans le système scolaire ou dans le marché du travail quand ils ont leur premier job. Effectivement, quels sports ils ont fait ? Qu'est-ce qu'ils ont développé ? Comme camaraderie, ou tant d’autres choses comme les engagements associatifs, parfois, les responsabilités qu’ils où elles ont assumé au sein de leur famille. Même en faisant du baby-sitting. Qu'est-ce que tu as développé comme compétences ? Ramener tout ça à la surface. On revient à l'histoire des étiquettes : un « enfant en difficulté », « un bulletin scolaire » Ce sont des descriptions pauvres de ton identité. Il y a tellement de choses et les étiquettes nous réduisent à ça.


DS : Exactement ! Et ce n’est pas toi que je vais apprendre la posture de rivage de David Denborough. Honorez le plein, c'est la posture de rivage. Il en parle dans le livre que tu as traduit. Il dit qu’une personne qui vit des difficultés, c'est comme si elle était au milieu d'une rivière pleine de dangers, très chahutée et il dit que ce n'est pas à cet endroit qu'il est opportun de lui parler de ses difficultés parce que toute son énergie est concentrée vers la survie. Ce qui est plus opportun, c'est de l'amener sur le rivage, avec nos questions, donc en s'intéressant au plein. C’est un endroit où il est en sécurité, surtout où il ne part pas de nulle part, il a des compétences, des valeurs. Il est animé par certaines choses.


À cet endroit-là, on peut regarder les difficultés. Donc, c'est exactement ce que dit David : honorer le plein, c'est-à-dire que, on va d'abord les ramener sur le rivage. J'adore cette phrase, le jour où j'ai lu ça, je me suis dit mais que j'avais tout compris des Pratiques Narratives. C'est exactement ce qu'on fait : on n'aborde jamais le problème à l'endroit du problème, on va d'abord honorer le plein, ce qui l'anime, pourquoi il vient.


Je demande aux gens qui se retrouvent en face de moi : « Quelle est l'histoire de votre présence ici ? Qu'est-ce que vous privilégiez en venant me voir ? Quelles sont vos intentions pour votre vie ? Qu'est-ce que votre situation vous a appris ? » Tu vois, c'est vraiment autre chose que d'attaquer directement le problème, en fait. Il y a plein de manières d'honorer plein. Ça c’est regradant.


FO : Et une fois que tu fais ça, la personne aborde le problème à partir de ses compétences, à partir de sa confiance. C’est un des sujets qu'on abordait avec David sur le dernier épisode[2] : la personne n'est pas, le problème est le problème. Et, une fois que tu as construit cette confiance, la personne est beaucoup plus à même de trouver des solutions, de comment gérer sa relation avec ce problème.


DS : Exactement ! C'est fondamental et la base des Pratiques Narratives. C'est pour ça que j'ai choisi cette pratique qui est très regradante. Même quand on abordé le problème, c'est pour montrer à la personne qu'elle n’est pas le problème. Cela dissout complètement la honte. On n'est jamais honteux avec son histoire du problème parce que, d'abord, ce n'est pas nous. En plus, ces jeunes que je vais voir dans les écoles vivent des choses très difficiles, en général, dans les familles. Ils sont parqués dans des classes à part, etc. Toute ma posture dit : « Mais comment faites-vous pour être encore debout ? » Ce sont eux les experts de leur survie. Moi, je les regarde comme des résistants à la Jean Moulin. Comment ils font pour résister comme ça au système scolaire ? Donc je leur dis : « Apprends-moi comment tu fais ? Cela va aider d'autres peut-être. »


Parce que, quand je vais dans les organisations, on fait trois séances sur « il m'a mal parlé ». Alors que, par rapport à ce qu'ils vivent, je ne pense pas que je vivrai 3 jours ce qu'ils vivent. Franchement ! C'est honorer vraiment le côté résistant de chacun.


FO : Je voulais aussi te demander sur ton expérience en entreprise. Avant de démarrer notre entretien, on parlait des discours dominants qu'on voit en entreprise. Dans ton expérience, quel discours est très présent en ce moment et qui est préoccupant ?


DS : Dans les organisations, j'ai choisi d'accompagner plutôt les gens qui souffrent, ceux qui, par exemple, ont une surcharge de travail. J'accompagne beaucoup de gens qui souffrent d'avoir trop de travail. Donc, la question était ?


FO : Qu'est-ce que tu vois et de quoi tu voudrais parler par moi ce que je vois par rapport à ces discours dominants ?


DS : Ce que je vis c'est cette hyper productivité. Actuellement, par exemple, je ne vais pas dire le nom du client que j'accompagne mais j'ai arrêté ma mission avec eux. Il y a eu un plan de licenciement alors que j’intervenais chez eux à différents endroits. Il y a eu un plan de licenciements de départs volontaires, donc, pour la plupart d’entre eux, les gens ont choisi de partir. 800 personnes sont parties. On était chargé de les accompagner pour un projet. Après ce plan, les équipes se sont retrouvées réduites : là où ils étaient vingt, il se sont retrouvés à douze, par exemple.


Ils nous ont donc dit : « On va accompagner ces équipes parce qu'elles n'arrivent pas à faire le boulot. » Mais, j’ai dit : « Mais attendez, que voulez-vous exactement ? » Ils avaient appelé ça : on va les accompagner à gérer des priorités. Donc, j'ai dit, gérer les priorités veut dire qu'ils peuvent ne pas faire le boulot, choisir ce qu'ils vont faire en priorité. Ils me disent : « Non, non, non ! Le boulot, il faut qu'il soit fait. Il faut juste qu'ils s'organisent. »


Mais ça, je ne peux pas prendre, par exemple. C'est-à-dire, on va on va demander à douze personnes de faire le boulot de vingt, en fait. Donc ça, ce n'est pas possible, j'ai dit non. Mais, il y en a d'autres qui ont pris. Donc, ça veut dire qu’on va leur dire qu'on les a aidés, on les a accompagnés, et qu’ils n'arrivent toujours pas à faire le boulot. L’accompagnement est un peu pour faire passer le fait qu’il faut quand même qu'ils arrivent à s'organiser.


FO : En fait, l'accompagnement est instrumentalisé au service d'un discours dominant qui est, effectivement, la productivité à outrance.


DS : Exactement ! Donc, il ne faut pas avoir peur de perdre un client. Moi, je n'ai pas pris, par exemple. Depuis que je n'ai pas pris, ils ne me prennent plus non plus. Mais ce n'est pas grave ! Je je me dis que je ne veux pas être complice de ça. Parce que je les voyais, les gens. Je les connais, ce sont des gens qui souffrent énormément et qui font des burn-out d'avoir cette pression de travail.


FO : On a déjà eu cette conversation mais dans la communauté coaching et dans la communauté narrative, que je pense est particulière par rapport à ça, il faut se poser la question d’au nom de quoi on travaille. Je pense qu'on a choisi ce métier parce qu’on veut aussi avoir une équation gagnant-gagnant pour les équipes et pour l'entreprise. Et l’instrumentalisation est quelque chose de préoccupant. Nous sommes là pour, justement, faire évoluer les choses et pas pour renforcer des schémas qui sont finalement hyper destructeurs.


Tu le mentionnais, les taux de burn-out ont énormément augmenté. C'est mon expérience aussi dans les accompagnements que je fais : la pression excessive qui est mise sur les gens, sur la productivité. Alors, ça c'est un volet.


Il y a aussi un deuxième volet que je constate : cette impression, et ce n’est pas qu'une impression, qu’ont les gens de perte de sens parce qu'ils perdent leur métier, parce que, parfois, les processus sont tellement saucissonnés ou, au nom de la conformité, on met des couches et des couches de procédure.


DS : C'est vrai.


FO : Les gens ont donc cette perte de sens et de leur métier. Ceci dans une société où, finalement, notre identité est très alimentée aussi parce que ce qu'on fait. C'est, quand même, une formule un peu explosive.


DS : C'est vrai. J'ai aussi accompagné une équipe qui vit des choses très difficiles depuis plusieurs années parce que, c'est eux qui on dit comme ça, « avant on était un village, maintenant on est un département avec toute cette complexité administrative qui nous bouffe et qui fait qu’on ne se reconnaît plus, avec des process, etc » Donc, cela a créé des dysfonctionnements.


En tout cas, l'accompagnement narratif qu'on propose à ces équipes est de rester un village. Comment ils vont résister ? Ils n'ont pas le choix de devenir un département, malheureusement. Par contre, ils ont le choix de rester un village dans le département. Voilà, c'est cet accompagnement qu’on propose. C'est-à-dire, qu'il commençait à y avoir des guerres de statut, de choses comme dans l’équipe, de la défiance entre eux.


On a nommé le problème. Donc, la personne n’est pas le problème. Le problème s'appelle « Département », ils l'ont bien dit. Donc tout le travail était de travailler sur comment rester un village. On va d'abord explorer s'il reste encore des petites traces du village dans ce qu'on vit. Après, on va mettre en place des choses pour essayer de rester un village, ensemble. Et puis, ils y sont arrivés.


FO : C’est finalement valoriser et développer les talents collectifs, en fait. Quels sont les talents qu'on a comme collectif de travail ? Comme communauté de travail ? Et comment peut-on potentialiser ça au service de la mission ? Parce que les gens ils sont toujours amoureux de leur métier en fait. Ils sont l’amour du métier. Et plus on leur donne de sens, plus on est fédéré autour d'une mission commune. Mais parfois, au plus haut niveau de la stratégie de l'entreprise le sens est un peu flou.


DS : C'est vrai. En tout cas, de plus en plus, on essaie de réinjecter de l'humain au cœur des organisations, quand même. Parce qu'on voit bien ce qui se passe. Et puis la dernière pandémie aussi est arrivée. Donc comment faire autrement ? Je pense, moi qui interviens dans les écoles, au tout début, il y a 14 ans, c'était difficile que le privé rentre dans le public pour essayer de faire des choses. Aujourd'hui, c'est eux qui nous réclament parce que les profs ont besoin d'aide.


Là c'est pareil. Ils nous disent qu’ils ont besoin qu’on vienne les aider à réinjecter un peu de l'humain. Comment réorganiser ? Comment manager autrement ? C'est pas mal ! En Pratiques Narrative « la personne n'est pas le problème » est un des principaux concepts. Quand je forme des managers c'est un concept sur lequel on passe du temps. Comprendre que la personne n'est pas le problème dans l'organisation. Souvent, on désigne une personne comme étant un problème. On la vire, et le problème est toujours là !


Cea ne veut pas dire qu'il n’y a pas de problème. Mais encore faut-il le trouver. Il faut le nommer. Il est souvent dans le contexte, dans la relation. Déjà sortir de « la personne est le problème » c'est déjà pas mal !


FO : Dina, il y a peut-être des managers qui nous écoutent et ce serait intéressant de savoir si tu aurais des conseils sur comment développer le regard pygmalion et amorcer ce cercle vertueux dont tu parlais. Que finalement, ce qu'on attend, le regard qu'on projette sur les gens, il a un pouvoir de prophétie autoréalisatrice. Si on soutient et on attend beaucoup de gens, ils vont être au rendez-vous pour se développer.


DS : Bien sûr et plus on est épanoui dans son boulot, et plus on est bien, et mieux on travaille. Tout ça c'est très vertueux. Mon conseil pour les managers c'est déjà de se sortir de l'isolement et d'aller voir ce qui se passe ailleurs. Comment on manage ? Enfin, ils sont un peu au courant, ils sont formés. Mais d'aller voir des nouvelles méthodes de management. Comme nous, dans nos métiers, on se forme en permanence, on va voir ce qui se passe ailleurs. Là c'est pareil, par rapport au management. Il y a tellement de nouvelles manières de faire. Et puis d'aller voir ce qui se passe. En tout cas, je forme de plus en plus de managers aux Pratiques Narratives. Et surtout, ne pas s'isoler ! C'est-à-dire, comment on crée des communautés de travail pour sortir la personne de l'isolement. Parce que les gens sont chacun dans leur service. Comment on casse les silos ? Comment recréer de la solidarité entre nous et avec des groupes de bonnes pratiques, du Codéveloppement, des formations, etc ?


FO : Oui, le Codéveloppement marche super bien.


DS : C'est magnifique, le Codéveloppement ! C'est comment chacun amène un cas et se fait aider par ses collègues. En fait, c'est juste de l'intelligence collective.


FO : Pour les gens qui nous écoutent et qui peut-être ne sont pas familiarisés avec ce qu'est, le Codéveloppement est une approche de formation : un groupe se réunit dans la durée. Et ça, c'est puissant parce que, dans la durée, on construit la confiance du groupe, mais aussi on capitalisme mieux les acquis. Et puis, la caractéristique, comme tu l'as dit Dina, c'est que, à chaque fois, il y a une personne qui amène une problématique réelle et d'actualité. Donc c'est une approche de formation entre pairs qui met l'intelligence collective au service des problématiques réelles et actuelles des membres du groupe. Donc c'est super puissant.


DS : C'est super puissant ! Et puis, ce qu'il faut c'est que la personne puisse dire un cas où elle est en difficulté sans sentir nulle. C'est toute la puissance. Donc, c'est comment on crée un contexte. Parce qu'il ne faut pas que ce soient toujours les mêmes personnes qui amènent des cas. Donc, chacun amène un cas et puis on traite les cas de chacun. Chacun donne des idées, même au-delà de son métier spécifique. On peut très bien avoir une idée pour un collègue, même si on ne bosse pas dans le même service que lui.


C'est surtout l'idée de créer un espace pour que les personnes parlent, pour que les personnes se rencontrent, pour que les personnes partagent leurs difficultés avec des collègues, avec des pairs et que les autres soient ressources pour eux. Enfin, c'est juste très intéressant.


FO : Et puis, l'objectif de tous ces groupes, et ça c'est important de le préciser, ce n'est pas de trouver La solution avec un grand L. L’objectif est plutôt de permettre, par la diversité des apports, que la personne qui a la problématique explore d'autres pistes, et qu’elle puisse élargir les horizons de la pensée. Parce que, souvent, dans le stress, on a cette vision de tunnel et, face à une problématique importante, on n'est pas forcément super créatif.


Je serai intéressée aussi d’avoir ton opinion sur un point parce que, parfois, les managers ne sont pas équipés pour apporter ça dans leurs environnements de travail. Donc, il y a des pistes que j'aimerais donner aussi. Comment on construit un environnement sécuritaire où chacun peut s'exprimer, apporter des idées en donnant le droit à l'erreur et, surtout, capitaliser sur ses talents. Parce qu’il y a styles différents et les gens ils s'épanouissent quand ils peuvent être dans la diversité de leurs talents. Mais pour ça, il faut créer un environnement sécuritaire où on se base sur la complémentarité. Est-ce que tu voudrais peut-être développer par rapport à l'accompagnement que les managers peuvent eux-mêmes faire sur d'autres managers ?


DS : Oui, absolument, parce que souvent je suis amenée moi-même à accompagner des managers qui se sentent un peu dégradés dans leur statut de manager. Donc souvent on me désigne une personne comme n'étant pas le manager qu'on aimerait qu'il soit ou en tout cas on maquille ça d'une manière de dire : « il faut travailler son leadership », par exemple. Donc, en fait, il ne faut pas avoir peur des différences.


Si j'avais un conseil à donner, c'est vraiment ce que tu viens de dire mais souvent quand je me retrouve face à ce manager, qui doit travailler car, quelque part. on lui dit qu’il a un petit problème, il faut qu'il travaille à développer quelque chose, c'est ma première réaction : c'est de regrader. Avant de voir ce qu’il pourrait changer, c'est de le regrader. Ma manière de le regrader est d'aller à la rencontre de son style managérial. Parce qu'il y a autant d'individus que de managers. Pour moi, il n’y a pas un style managérial.


Il n’y a pas longtemps, j’ai rencontré un manager qui me dit : « Oh là là ! Je crois que je ne suis plus fait pour ce métier ! » Alors qu'il avait déjà 40 ans et qu'il avait été très bon manager ailleurs. Il ne se sentait plus très bon manager. Alors, j’ai demandé : « C'est quoi un bon manager pour vous ? » Il m'a dit : « C'est quelqu'un qui a des couilles ! » J'ai dit « okay ». Je vais te passer le détail de « c'est quoi avoir des couilles ? » Il voulait dire par là : quelqu'un de courageux, quelqu'un qui est capable de virer les gens, quelqu'un qui est capable, etc.


Donc, je lui ai dit : « Écoutez, si vous voulez bien, avant de voir les axes de travail, je vous propose d'aller à la rencontre du manager que vous êtes. J'ai envie de vous connaître. » On a donc travaillé ensemble sur ses valeurs, ses compétences, ce qui l’avait motivé à vouloir devenir manager, etc


Il voulait être manager pour embaucher des gens et pas pour les virer, en fait. Et donc, c'était quelqu'un qui avait de grandes valeurs : de faire grandir les gens. Et dans cette entreprise, on voulait vraiment qu'il statue pour déplacer des gens, pour en virer d'autres. Il ne le faisait pas pas parce qu'il ne voulait pas, en fait, mais parce que ça allait contre ses valeurs.


FO : Tu vois. Je t’interromps une seconde. Je trouve que c'est très illustrateur des discours dominants sur « c'est quoi être un manager ». Et quand il te dit « c'est avoir des couilles pour licencier, pour si, pour l'autre » cela renvoie à une image, une espèce de norme qui est imposée, comme une espèce de moule dans lequel on doit rentrer. Parfois, tu ne veux pas rentrer dans ce moule. C'est de la résistance, ce sont des actes de résistance au nom de tes valeurs.


DS : Exactement ! Et d'ailleurs, il me l'a dit : « Moi, je ne veux pas, je n'ai pas envie de le faire. » Il m’a décrit comment il travaille avec les gens : il adore les différences, il adore faire confiance, il a une manière de faire qui fait qu'il faut y aller tranquillement, etc. Et donc, une fois qu'il a été un peu regradé, c'est-à-dire qu’il a vu qu'il avait un style. Nous avons honoré ses valeurs, ses compétences. Tout le sujet était de savoir : est-ce qu'il a envie de les défendre là où il est, ou il a peut-être envie de changer ? Mais non, il se sentait de défendre tout ça. C'est-à-dire, qu’à l’endroit où il était avant, il ne savait pas qu'il avait tout ça. C’est comme si j'avais fait emerger des savoirs clandestins, en fait. Il avait fini par croire qu'il était un mauvais manager. Donc, il ne se sentait pas les épaules de faire ça. Par contre, là c’était différent. Il m’a dit : « J'aime cette boîte, quand même. J'ai voulu y travailler donc j'aimerais essayer de défendre ça. »


Et là, il avait des arguments pour le défendre. Et on a accepté ses arguments. Il est dans cette boîte, comme il a envie d'y être. Cela aurait été un gros malentendu, s'il ne l’avait pas fait.


FO : Et tu vois, dans cette histoire, c'est ça aussi l'intention qui nous anime dans le coaching. C'est une équation gagnant-gagnant. L'entreprise gagne à avoir une diversité de managers, à avoir des gens qui sont fortement ancrés dans leurs valeurs et à cultiver la complémentarité. Les entreprises qui sont hautement performantes ne sont pas celles que tu mentionnais au début : celles qui sont dans une espèce de discours dominant de la productivité qui amène les gens à l'épuisement et au burn-out. Ce sont les gens qui sont dans un discours de productivité qui est basé plutôt sur l'autonomie, sur la complémentarité, sur la créativité et la confiance : c'est là que tu crées de la vraie productivité. Donc c'est là où tu te dis, mais il y a de l'espace pour une équation gagnante gagnante où l'entreprise et le manager gagnent.


DS : Je voudrais juste te dire que ce monsieur que j'ai accompagnait qui est arrivé avec une histoire « je suis un mauvais manager », à la fin de notre discussion, je lui ai dit : « Alors, qu'est-ce que vous en pensez ? » Il me dit « Je suis un mec bien, en fait » Donc, il est passé d’être un mauvais manager à être un mec bien, quand même. Je lui dis : « Et ça vous va d'être un mec bien, voulez rester un mec bien ? » Il m’a répondu : « Oui, mais je vais le rester ici. »


FO : Et on devient soi-même vecteur d'un changement positif dans la communauté de travail. C’est-à-dire que cette personne est partie beaucoup plus équipée pour apporter quelque chose de positif dans une communauté de de travail.


DS : Et puis, j'ai des nouvelles, ça se passe bien. Il a pris du temps pour imposer qui il était mais, il est plutôt content.


FO : Et pour les gens qui ne sont pas accompagnants. Qu'est-ce que tu pourrais donner comme clés pour des managers ? Comment on regrade les membres de son collectif de travail ?


DS : J'ai une bonne nouvelle parce que, ce qui est formidable, c'est qu'on a tous ce pouvoir-là : celui de regrader les gens. On n'a pas besoin d'être accompagnant.


J'ai 3 enfants et, avant que ne je prenne conscience du pouvoir du regard sur mes 3 enfants, j'aurais pu te les présenter en disant : j'en ai une, elle est un peu timide, l'autre, elle est un peu comme ça, etc Tu vois comment, rien qu'en les présentant, on peut réduire les gens à une de leurs histoires, en fait. C'est quelque chose que je ne fais plus jamais. En tant que parent, il faut faire attention à ça. Souvent, les parents sont fiers et ils disent par exemple, « moi j'ai un fils qui est matheux ». C'est comme pour lui faire plaisir, mais en fait, il l'empêche d'être peut-être littéraire ou autre chose.


Voilà comment on ne réduit pas une personne à une de ces histoires. Il faut honorer le côté multi-histoires de tous les gens. Elle a une histoire avec un peu de réserve mais elle aime aussi faire ça, elle est très douée à ça, etc.


Voilà comment on a tous le pouvoir de changer la vie d'une personne en fonction du regard qu'on décide de porter sur elle. J'en ai conscience donc je fais très attention, aujourd’hui. On a ce pouvoir-là. Un sourire, par exemple. Quelqu'un que je ne connais pas et qui me sourit dans la rue peut avoir le pouvoir de changer la couleur de ma journée, par exemple. Donc, l'idée est d'en avoir vraiment conscience, tout simplement. Voilà ce que j'aurais envie de dire.


FO : Alors, je vais te laisser le mot de la fin. Ma conclusion, par rapport à tout ce qu'on s'est dit ici, est le message que je voudrais passer aux gens qui nous écoutent : c'est de déceler ces discours dominants. Parfois, en entreprise, il y a des discours qui sont présentés comme des vérités absolues, comme la seule vérité possible. C'est ça qui constitue un discours dominant. Et qu'est-ce qu'on peut faire face à ces discours : tout simplement, avoir cette distance. Comprendre que c'est juste une histoire et qu'il y a d'autres histoires possibles et que les résistances sont importantes. Comme ce manager dont tu viens de parler. Les résistances c'est être en recherche de sens, être en ancrage avec ses valeurs, avec ses talents, avec son style pour pouvoir interagir et donner place à son authenticité.


La richesse de la vie c’est ça aussi. Et je retiens cela aussi de ce que tu as dit : la richesse de la vie c'est la diversité et tout ce qu'on peut amener dans cette diversité.


Je voulais aussi te remercier infiniment. J'ai passé un très bon moment avec toi à discuter. Et, comme je te le disais au début, c'est vraiment un honneur de t'avoir ici.


DS : Merci, merci énormément, Fabiola ! Pour moi aussi, c'est un vrai plaisir de parler avec toi. Je voulais vraiment te remercier parce que j’honore avec toi une valeur précieuse, que je sais que tu partages aussi avec ces podcasts : c'est le partage.


En fait, les Pratiques Narratives c'est quelque chose de très généreux. Et tu as une manière très élégante, avec tes podcasts, de diffuser les idées narratives de différentes personnes, de différentes voies. C'est aussi ta manière à toi d'honorer les différences et de voir toutes les manières différentes de véhiculer ses idées. Donc, je te remercie vraiment.


FO : Merci Dina, ça me touche beaucoup. Et puis, c'est ton premier passage, j'espère que ce ne sera pas le dernier. À tout le monde, merci beaucoup pour votre présence ici et je vous dis : à très vite pour notre prochain épisode.

[1] SEGPA : Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté [2] Épisode 5 : Redécouvrir les histoires de notre vie, publié le 1er juillet 2022, avec David Denborough auteur du livre du même nom. Traduit en français par Fabiola Ortiz.

Comments


bottom of page