Retranscription de l'épisode 7 : À bas la dictature du bonheur ! publié le 11 octobre 2022
Aujourd'hui, j'avais envie de vous parler des émotions.
Alors, les émotions n'ont pas très bonne presse excepté le bonheur. Il faudrait qu'on soit comme des robots toujours connectés à notre bonheur. Je n'ai rien contre le bonheur. C'est, sans aucun doute, une émotion très agréable mais il serait intéressant d'aller voir de plus près ce qui se passe sur les autres émotions. Quel est leur rôle dans notre vie ? Alors, je vous invite, dans cet épisode 7, à explorer ce sujet et à dire « À bas la dictature du bonheur ! »
Pourquoi avoir choisi ce sujet ? En parallèle de ma pratique de coaching et de Pratiques Narratives, je suis facilitatrice dans des séminaires de relations interpersonnelles et de biais cognitifs. Essentiellement, c'est comment mettre de l'intelligence émotionnelle dans nos relations pour avoir des relations plus constructives et positives.
Donc, c'est dans ce cadre et dans le cadre de ma pratique courante, que j’entends beaucoup de croyances sur les émotions et, particulièrement, sur la gestion des émotions. Des discours dominants qui marquent notre approche. Donc, je trouvais important de clarifier et d'aborder certains concepts. Il y a beaucoup de discours dominants sur les émotions. Cela remonte assez loin dans l’histoire.
Depuis Aristote, nous avons une pensée binaire, dualiste. Nous avons une logique binaire qui fonctionne avec des oppositions. Les choses se définissent par des contradictions entre des extrêmes. Essentiellement, une réalité est exclusive d'une autre. Et ça, c'est une vision de la vie qui est assez fondatrice de notre culture occidentale.
Il y a eu Descartes, un des fondateurs de la philosophie moderne. Au XVII siècle, il a posé les fondements de l'approche philosophique. Dans le Discours de la Méthode,[1] il a formulé 3 lois :
- La loi de l'identité : tout ce qui est, est.
- Loi de la non-contradiction : rien ne peut, à la fois, être et ne pas être.
- La loi du tiers exclu : toute chose ou bien est, ou bien n'est pas.
Ceci est confortable pour notre cerveau parce que, finalement, cela conforte notre besoin de mettre les choses dans les catégories. Les choses sont ou ne sont pas. Cela est pratique mais pas très adapté aux réalités complexes.
D'ailleurs, j’ose faire une parenthèse sur les Pratiques Narratives qui proposent une vision différente sur le fait que nous avons des identités complexes, sociales et en construction permanente, et donc le fait que nous sommes, au sein de nous-mêmes, multi-histoires.
Alors que nous sommes souvent confrontés à des réalités complexes, cette logique binaire est profondément ancrée dans nos modes de raisonnement et dans notre façon d'aborder la vie. Je vous donne quelques exemples : le bien et le mal ; le vrai et le faux ; la lumière et l'obscurité.
Il est intéressant de voir que, par exemple, on oppose souvent la santé et la maladie. Cela paraît assez logique : soit on est en bonne santé, soit on est malade. Et pourtant ! Récemment je lisais un ouvrage qui vient de sortir mi-septembre et que je vous recommande fortement : The Myth of Normal, soit Le Mythe de la Normalité de Gabor Maté.[2]Malheureusement, il n’existe qu'en anglais. L’auteur met en lumière cette logique binaire par rapport à la maladie. Cependant, il y a de plus en plus de courants qui mettent en évidence que cette dualité ne s’applique pas en termes de santé ou maladie. Finalement, la maladie est une potentialité, un processus qui apparaît ou pas dans notre dans notre vie et dans notre corps d'une façon progressive.
Il met en évidence que nous portons déjà certaines maladies dans nos gènes, des maladies que peut-être nous ne développerons jamais. Pourtant, elles sont dans notre corps. Il parle de l'épigénétique : l’influence de notre environnement sur la manière dont vont se manifester ou s'exprimer ces gènes. La maladie peut donc apparaître comme un processus.
Une des autres dualités qu'il remet en question est celle de corps et esprit. De plus en plus, les neurosciences nous démontrent que les deux sont extrêmement liés et qu'on ne peut pas les séparer de la façon dont l’avons fait traditionnellement.
Alors, qu'est-ce que cela a à voir avec la gestion des émotions ? Justement, que notre cerveau, notre corps est d'une grande complexité. Et cette vision du monde nous a amenés vers une autre grande dichotomie : opposer la raison à l'émotion.
Après Descartes, il y a eu le Siècle des Lumières qui a continué dans la même tradition et à valoriser énormément la raison. Le fameux « Je pense donc je suis » de Descartes. L'émotion commence à être vue comme quelque chose de dangereux.
Il y a cette image dont j'ai essayé de chercher la source. Je crois que la source est tout simplement mon père qui était médecin. Il nous peigné cette dichotomie avec l'image de ce cheval débridé qu’est l'émotion. La raison étant le chevalier qui tend les rênes et qui gère tant bien qu’il peut ce cheval hors de contrôle. Cela m’intéresserai de savoir si quelqu'un a une autre source. Pour ma part, je suis arrivée à la conclusion que la source était mon papa qui nous disait : il faut se méfier de l'émotion et ne pas se laisser aller à ces instincts.
Plus tard, arrive le développement des neurosciences. En 1994, Antonio Damasio, neuropsychologue, écrit l’ouvrage « L'erreur de Descartes »[3] où il remet en question cette opposition faite sur la raison et l'émotion. Il pose la théorie des marqueurs somatiques selon laquelle notre mémoire a une composante émotionnelle. Une mémoire affective qui déclenche des réactions physiologiques et qui sont une résultante directe d'événements passés qui nous ont fortement marqués dans notre expérience. On donne plus de valeur à certaines choses qui nous marquent plus fortement émotionnellement.
Ses travaux mettent en évidence la haute interconnexion entre raison et émotion. Il démontre que les émotions nous aident à accompagner les raisonnements logiques et à décider sur la base de notre expérience passée. Il a fait des études sur des personnes qui avaient eu un dommage cérébral sur le cortex préfrontal. Il a réussi à mettre en évidence que le raisonnement logique était insuffisant à la prise de décision.
Ces personnes avaient des difficultés à prendre des décisions simples. Au moment de choisir un resto, par exemple, elles étaient assez démunies parce que, si on veut un raisonnement tout à fait logique, on va vouloir comparer absolument tous les restos avec plein de critères logiques. Cela n’est pas possible. À un moment, on se dit tout simplement : Tiens ! Aujourd’hui, j'ai envie de manger chinois, ou de manger indien, ou de manger dans une bonne brasserie française. Il y a donc un élément d'émotion qui rentre dans ce raisonnement et qui nous aide aussi à décider.
Au fait, c’est quoi une émotion ? Le docteur Bernard Anselem cite, dans son livre Ces émotions qui nous dirigent[4], Klaus Scherer qui définit l'émotion et je cite : « un ensemble de variations transitoires dans plusieurs composantes de l'organisme en réponse à des événements évalués comme importants. »
Donc, nous avons un élément déclencheur, un événement externe ou bien une pensée, qui va déclencher une émotion. Cette émotion est une réaction transitoire qui entraîne des pensées, des ressentis, qui à leur tour, entraînent des adaptations corporelles et une tendance à l'action. Le mot « émotion » vient du latin « emovere ». L’émotion nous met en mouvement. C'est un processus automatique et inévitable et il est important de le comprendre.
L’émotion ne peut pas être évitée.
Imaginez une voiture. Sur le tableau de bord, un voyant s’allume alors que vous conduisez. Lorsque vous voyez ce voyant allumé, vous savez qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans le moteur. C'est quelque chose d’important qui demande votre attention. C'est la même chose avec l'émotion. Elle fonctionne comme un voyant indiquant quelque chose qui est important pour vous : un besoin fondamental non satisfait.
C’est cet élément d'information qui est précieux. L'émotion est alliée pour la compréhension de notre propre réalité interne. Dans cette logique, il est intéressant de comprendre que notre cerveau est focalisé à assurer notre survie. Donc, nos sens sont conditionnés à capter des informations de notre environnement, détecter les possibles dangers et déclencher une émotion qui nous pousse à l'action. Parfois, nous sommes comme submergés par l'émotion, incapables de voir clairement la situation.
Alors, pourquoi cela ? Il y a une alerte dans le cerveau, au niveau de notre cerveau émotionnel qui est très rapide afin d’assurer notre survie. Pour ainsi dire, il prend le contrôle. Pensez, par exemple, aux fonctions réflexes. Si vous mettez votre main sur une surface chaude, vous n’allez pas réfléchir. Vous allez, instantanément et de façon inconsciente, enlever votre main. C’est par l’action que notre cerveau émotionnel tente d'assurer notre survie. À ce moment-là, nos capacités cognitives sont diminuées. C’est place à l'instinct.
C'est peut-être une des raisons pour lesquelles l'émotion n'a pas très bonne presse. Parfois, nous sommes submergés et notre jugement est moins éclairé à ce moment-là. Mais bon, il faut dire que nous sommes en partie responsables parce que nous ne connaissons pas très bien nos émotions.
Pour revenir à l'image de la voiture, lorsqu’un voyant s’allume, on sait à quoi il correspond : je n’ai plus d'essence, le moteur chauffe, je n'ai plus de liquide de frein. Il ne nous viendrait pas à l'esprit de ne rien faire. On sait qu’il y a une action à faire. Si on ignore le voyant, on sait qu’on va directement à la catastrophe. Donc, pourquoi ne fait-on pas la même chose avec nos émotions ?
Déjà, vous allez commencer à comprendre le titre de cet épisode. Nous sommes dans une espèce de dictature du bonheur. Il y a une espèce de hiérarchie et d'acceptabilité des émotions. Et c'est là qu’entre en ligne de compte notre environnement social et les discours dominants.
Déjà, on parle d'émotions négatives. Cela m'énerve parce qu’on introduit un jugement de valeur sur les émotions. Il n’y a pas d'émotions négatives. Toutes les émotions sont positives si on les considère pour ce qu'elles sont : des indicateurs sur des choses qui nous sont précieuses. Donc, il n’y a pas d'émotion négative. Sûrement certaines d’entre elles ne sont pas agréables, mais ça c'est autre chose. Et encore heureux ! Parce que leur objectif est, justement, de nous faire bouger, nous sortir d'une espèce d'équilibre pour qu'on puisse bouger et satisfaire un besoin. Si cela était toujours agréable, pourquoi on se bougerait ? D'ailleurs, les émotions agréables ont aussi un besoin à satisfaire. Par exemple, la joie traduit un besoin de partage qui nous permet de renforcer le lien social.
Donc, toutes les les émotions ont une fonction.
Pourtant, on juge les émotions ! Et ce depuis le plus jeune âge. Depuis très jeunes, on apprend déjà aux enfants à dévaloriser leurs émotions. On ne leur apprend pas à les verbaliser. D’ailleurs, nous avons peu de vocabulaire lié aux émotions. Nous envoyons aux enfants beaucoup de messages : « mais ne pleure pas pour ça », « ce n’est pas beau d'être fâché ». Et je ne rentre même pas dans les considérations de genre car certaines émotions sont mieux acceptées chez les filles, d'autres mieux acceptées chez les garçons. Ça c'est quelque chose de terriblement destructeur. On a parlé dans ce podcast de certains discours dominants du patriarcat. Dans ce système, les filles comme les garçons, sont les victimes de discours qui nous coupent de certaines de nos émotions authentiques.
Nous avons donc développé un rapport un peu tordu aux émotions. C'est ce qu’en Analyse Transactionnelle on appelle les émotions parasites : depuis notre enfance, notre entourage a mieux accepté certaines émotions. Cela tient aussi d’un contexte social plus élargi, bien sûr. Mais aussi au sein de notre cellule familiale.
Lorsqu'on ressent et démontre une émotion qui n'est pas vraiment désirable dans notre entourage, on apprend inconsciemment à la remplacer par une autre qui est mieux acceptée, ou même encouragée. Donc, nous créons comme une émotion de substitution en raison d'un conditionnement social. C'est une forme de répression émotionnelle qui nous amène à une confusion car nous n’avons pas accès à l’émotion authentique, cela brouille les pistes pour comprendre quel est le besoin qui est derrière.
Par exemple, on disait aux garçons : « un garçon ne pleure pas ! » On commence à brouiller le rapport qu'il a avec la tristesse qu’il substitue par une émotion plus désirable comme la colère. Ce rapport l’accompagnera dans l’âge adulte. Quand il est triste, il aura plutôt tendance à montrer de la colère. Mais, c'est une émotion qui n'est pas forcément adaptée au contexte, donc il aura beaucoup plus de mal à identifier à la vraie émotion et les vrais besoins non satisfaits. Cela est une clé fondamentale pour la compréhension des émotions. J'y reviendrai plus tard.
Donc, ce qu'on fait la plupart du temps est de réprimer ses émotions. Et, encore une fois, cela passe par des discours sociaux qui deviennent des injonctions, la seule histoire possible. Quand je parle de la dictature du bonheur c'est parce que nos sociétés véhiculent une injonction au bonheur qui est assez présente. Il faut toujours aller bien, ce n’est pas acceptable de ne pas aller bien. Et si on ne va pas bien, tout simplement, on se force !
Bien entendu, je ne veux pas que vous vous mépreniez sur mes propos. Je trouve que c'est très bien d'être positif face à une situation difficile. D’ailleurs, c'est une des clés pour la gestion des émotions : changer de perspective et essayer de voir la situation avec un autre regard. Je suis quelqu'un de très positif. Cela ne passe pas, ne devrait pas passer, en tout cas, par une répression et une négation de l'émotion en présence.
Un des leviers de la gestion des émotions est d’accepter l'émotion en présence. Cela nous amène à ce qui est, à mon avis, une des plus grandes incompréhensions dans ce qu'on entend par gérer les émotions dans le langage courant.
Cela fait bientôt 10 ans que je travaille dans l'accompagnement et ce que je constate quand j'échange avec les gens c’est que la gestion des émotions est essentiellement « tu apprends à te les garder, tu les mets dans un tiroir et surtout tu penses bien à fermer à clé. » Cela n’est pas de la gestion des émotions.
Je me rappelle une femme que j’ai accompagnée il y a quelques années. Elle était cadre en entreprise. Lors de notre entretien initial, elle me dit : « Mon objectif de coaching est d'apprendre à mieux gérer les émotions. » Ok, très bien, c'est un objectif de développement personnel. On commence à creuser et elle me dit : « En ce moment, ça ne va pas dans mon boulot, je suis assez émotionnelle, mes émotions remontent assez facilement, je me sens submergée. Je veux supprimer tout ça ! » Là je lui dis que c'est comme si elle demandait à son mécano de débrancher le voyant qui indique qu'il n’y a plus d’eau dans le radiateur. C'est une catastrophe. Déjà je ne peux pas le faire car l'émotion est inconsciente, automatique et inévitable. Mais si je pouvais, je ne le ferais pas parce que l'émotion, elle vous dit quelque chose. C’est plutôt dans ce sens que nous avons travaillé.
Il s’agit de ne pas réprimer les émotions. Tout le contraire : leur donner une place dans notre vie. Ne pas les subir mais les comprendre, savoir les écouter. Qu'est-ce qu'elles nous disent ? En fait, on ne comprend pas le langage des émotions.
Donc, dans cet accompagnement, nous avons reformulé l'objectif et sa compréhension. Nous avons qualifié et nommé les émotions en présence, nous avons décortiqué le contexte pour mieux comprendre qu'elle était la source de son insatisfaction. C'était un boulot qui, au départ, lui plaisait beaucoup et qui avait un peu changé au fur et à mesure. Nous avons identifié les besoins qui n'étaient pas satisfaits. Elle a pu comprendre qu’elle était en perte de sens. Les choses avaient évolué. Ce n'était pas une option pour elle de quitter son travail, mais elle a pu explorer comment actionner certains leviers pour satisfaire ou, du moins, adresser son besoin.
Donc, on change de perspective. On n'est plus en déni face à une réalité mais plutôt dans la conscience et dans l'action. On redevient auteur de sa vie, en fait. On arrête de subir et on arrive bien à prendre des décisions par rapport à ça.
Je vais vous donner un exemple personnel de comment cette injonction au bonheur est puissante. Cela m'est arrivé pendant la pandémie. Donc, en mars 2020, tout s'est arrêté pour moi, à part les accompagnements que je pouvais faire à distance. Donc, une époque d'incertitude. On commence à mettre d’autres solutions en place, l’été arrive, on prend des vacances comme on peut. Arrive septembre 2020 et je commence à subir comme une espèce de montagne russe émotionnelle. Il y a des jours où j'étais très optimiste, il y a des jours où j'étais très pessimiste, je n'avais pas le moral. Et ça me dérangeait !
Je vous disais que je suis quelqu'un de très positif mais ici, je pense que j'étais en train de réprimer mon émotion. Je me disais : « Mais bon ! Fabiola, quand même ! Il faut voir le côté positif des choses !! » Heureusement, je n'ai pas eu de tragédie dans ma famille due au COVID, je n'ai pas été moi-même malade. Bon ok, le boulot s'est arrêté mais ça reprend : on a pu proposer des choses en alternative. Donc tout va bien !
J’essayais de voir le côté positif tout en réprimant l'émotion. Vous voyez que c'est mon métier !! Comme quoi, il est vrai que parfois les cordonniers sont les plus mal chaussés. Et puis, à un moment, je me suis dit : « Non, mais attends ! Qu'est-ce qu'elle me dit cette émotion ? Ok, tout va bien et cette pandémie n'a pas amené des choses tragiques dans ta vie. Cependant, il y a un contexte de grande incertitude. Et c'est ok ! C'est OK de se sentir un peu fatiguée à certains moments. Il y a une courbe d'apprentissage sur des nouvelles façons d'animer, d'accompagner. Donc, c'est normal de parfois se lever avec les batteries un petit peu à plat. Quand c’est le cas, tout simplement, tu feras plus doucement ce jour-là parce que tu auras moins d'énergie. »
J’ai accepté d’accueillir cette émotion qui vient d'un besoin d'avoir un minimum de certitude que je n'ai pas en ce moment-là. Alors, vous voyez comme c'est intéressant : je n'ai pas pu satisfaire ce besoin. Ce n'était pas en mon pouvoir d'amener cette certitude. Ce qui était en mon pouvoir était d'adresser le besoin, de le reconnaître. Et donc, de dire aux voyants : « Je t'ai vu, je comprends, on va faire de notre mieux. »
Comme par magie, la montagne russe a disparu. Donc, l’acceptation est aussi un levier important : accueillir l'émotion. Cela peut paraître contre-intuitif parce qu'on se dit : « Oh là là ! Si j'accueille inconditionnellement l'émotion, je vais être submergée. » Mais c’est tout le contraire : on est submergé lorsqu’on ne voit pas le voyant et que notre système et notre corps et notre organisme sont dans une logique de « je dois parler un peu plus fort pour que tu m'entendes ! Allez, encore un peu plus fort ! »
C’est plutôt la répression des émotions qui provoque cette augmentation du ressenti émotionnel jusqu'à des extrêmes où on peut se rendre malade. Il y a un risque pour notre santé. C'est un des aspects traités dans le livre de Gabor Maté que j'ai mentionné plus tôt, le Mythe de la Normalité. L’auteur constate que, ce que notre société considère comme « normal », nous amène à des modes de fonctionnement qui nous rendent malades. Il présente des statistiques assez alarmantes, par exemple, sur les maladies auto-immunes qui ont une progression rampante depuis les 30 dernières années.
Il est donc important de comprendre que toutes les émotions sont utiles. Si on passe en revue les émotions de base :
- La surprise nous permet de focaliser l'attention sur quelque chose d’inattendu.
- Le dégoût provoque une aversion physique ou émotionnelle face à quelque chose qui est potentiellement toxique. Donc cela va nous permettre d'éviter des situations qui peuvent nous intoxiquer au sens psychologique ou au sens propre du terme.
- La peur nous permet d'anticiper un danger, elle nous permet de mettre des stratégies de protection face à ce danger, qu’il soit réel ou juste une perception. Peu importe, pour nous c'est une réalité.
- La tristesse nous aide à gérer la perte. Notre organisme ralentit, il y a la clôture d'un cycle et le besoin de lien social ou retrait.
- La colère nous permet de renforcer nos limites. Elle entraîne une accélération qui nous permet, bien sûr, d'attaquer si on prend des réactions très animales. Mais, elle nous permet surtout de mettre des limites et de passer à l'action.
- La joie active le circuit de la récompense, les circuits de dopamine dans notre cerveau. C'est un levier de surpassement et de renforcement social dans le partage. Nous sommes des animaux sociaux, donc le lien social, et on l'a vu pendant la pandémie, est un axe de survie important que ce soit physique ou psychologique.
Notre cerveau, focalisé sur notre survie, est donc câblé pour avoir une réaction rapide, automatique et parfois, un peu animale garantissant notre survie. Dans ce sens, notre cerveau n'a pas beaucoup évolué. Ces réactions ne sont plus adaptées à notre fonctionnement en communauté dans nos sociétés.
On parlait de la colère : dans une réaction très automatique, la colère va nous pousser à attaquer. Au contraire, dans une réaction de sur adaptation, parce que, peut-être, on veut préserver la relation, on va réprimer l’émotion et essayer d'étouffer cette colère. Le problème c'est qu’il y a une de nos limites qui n'a pas été respectée, un besoin fondamental. Donc, cette colère va grandir en nous, ce qui est encore plus risqué pour la relation. Dans une réaction adaptée, cette colère ne va pas donner lieu à une attaque. Je vais plutôt lui donner sa place, non pas en explosant, mais en comprenant mon besoin fondamental et en m'affirmant de façon équilibrée, en définissant des limites dans une relation.
Il est important de comprendre que mon besoin n'est pas celui de l'autre donc l'autre ne peut pas le deviner. Mon besoin est de ma responsabilité donc, à moi de prendre des mesures pour le satisfaire.
C’est ça la vraie gestion des émotions : c'est savoir mettre un nom sur mon émotion, avoir une maîtrise de soi dans un contexte social, identifier le voyant qui correspond à tel ou tel besoin qui en l’occurrence, n'est pas satisfait.
Ceci n'est pas facile et ce n'est pas automatique puisque cela ne correspond pas au « câblage d'origine » de notre cerveau. Mais, la bonne nouvelle c'est que nous pouvons agir sur ce câblage d'origine grâce à la Neuroplasticité.
Donald Herb qui est le premier à avoir lancé cette hypothèse en 1949 et qui a été confirmée par des études postérieures : notre cerveau évolue dans le temps. Chaque pensée, nos activités, nos expériences façonnent notre cerveau. À chaque pensée, mouvement, action et apprentissage, il y a une connexion de neurones qui se crée dans notre cerveau. Si cette connexion est habituelle et répétée, elle va se renforcer. Si elle n'est pas habituelle, elle finira par s'affaiblir et disparaître.
Prenez l'exemple de tout ce que vous avez appris à l'école Vous avez utilisé certains des apprentissages de façon plus répétée, vous les avez gardés. Ceux que vous n’avez pas utilisés, ont fini par disparaître.
Daniel Goldman, dans son ouvrage sur l'intelligence émotionnelle[5], présente la connaissance de soi, l'intelligence intrapersonnelle, comme quelque chose que nous pouvons développer. C’est un des axes de l'intelligence émotionnelle. Nous pouvons développer notre capacité à gérer nos émotions d'une façon qui développe notre connaissance de nous-mêmes, de nos besoins et qui nous aide à nous affirmer.
Bien sûr, il y a aussi l’axe de la relation interpersonnelle, la relation à l'autre. Il s’agit d’aller chercher quel est le besoin de l'autre. Et, il est important de comprendre qu’il n’y a pas de bon et de mauvais besoin. Il y a juste des besoins qui sont différents pour chacun d'entre nous.
Vous avez peut-être entendu le terme de « assertivité ». Et là aussi, parfois, je vois des mauvaises interprétations sur ce terme. Il s’agit de la capacité d'évoluer dans la relation en étant capable d'affirmer ses propres besoins d'une façon équilibrée. Et dans l'équilibre de quoi ? Dans l'équilibre du besoin de l'autre. C'est-à-dire, que je vais aborder les problématiques et les relations avec une optique gagnant-gagnant pour essayer, au moins d’adresser le besoin de l'autre.
Alors, la prochaine fois que vous avez un désaccord, essayez de l'aborder de ce point de vue : en termes de besoins. Quel est mon besoin ? Quel est le besoin de l'autre ? Vous pouvez même utiliser les techniques d'écoute active pour creuser, explorer la vision de l'autre. Vous verrez que c'est un levier important pour développer des relations beaucoup plus constructives.
Vous avez aussi d'autres ressources comme la Communication Non-Violente de Marshall Rosenberg. Il a écrit un livre très accessible qui est Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs)[6] où il parle de cette technique.
Ceci est important car dans la tension d'une relation, dans le trop-plein d'émotions, rappelez-vous, nos capacités cognitives sont diminuées. On peut avoir cette perception selon laquelle nos besoins sont incompatibles. Notre système d'alerte, de survie, va donc prendre le dessus. Une fois qu'on donne de l'espace à l'émotion et on comprend l'information qu'elle véhicule nous sommes plus en mesure d'avoir des conversations sereines autour des besoins respectifs. Voilà un levier de d'efficacité et aussi de bien-être personnel et interpersonnel et de construction de la confiance.
Ce qui est intéressant aussi par rapport au bonheur c'est que, malgré l’injonction au bonheur, il est souvent conditionné à des accomplissements : « quand je ferai ci, quand j'aurai ça dans ma vie ou quand je finirai mes études, quand je rencontrerai quelqu'un, quand j'aurai des enfants, etc … » On conditionne le bonheur à une certaine idée de succès, on remet le bonheur à plus tard. Quand j’aurai atteint X.
Et c'est intéressant parce que l'université de Harvard a fait une des plus longues études neurologiques sur le bonheur. Une des conclusions est le fait que l'équation est inversée : c'est le fait d'être dans une bonne disposition de bonheur qui peut nous amener à être plus créatifs, à avoir plus de succès dans la vie et à mieux atteindre nos objectifs.
En raison de la focalisation du cerveau sur la survie, il a tendance à voir plutôt les côtés négatifs d'une situation. Il est ici intéressant de travailler avec la Neuroplasticité, non pas pour supprimer ni pour réprimer toutes nos émotions qui sont utiles mais peut-être pour apprendre au cerveau à voir le bon côté des choses. Par exemple, cultiver notre résilience en prenant conscience des choses qui vont bien dans notre vie. Ne serait-ce que des petits détails. Renforcer les liens sociaux, par exemple, ce qui cultive notre résilience en cas de coup dur.
Il y a quelques années, j'avais publié sur le blog la conférence TED de Shawn Achor[7], psychologue à Harvard et qui participé à cette étude dont je vous parlais. Dans sa conférence, La science du bonheur, il vous donne des pistes pour cultiver des « petits trucs » qui peuvent vous aider à vous reconnecter avec un sens de bien-être et à développer une perspective plus positive dans la vie.
Alors voilà ! Il me tenait à cœur d'avoir ses réflexions avec vous car je suis convaincue que si dans nos sociétés, nos communautés, nous développons ces compétences d'écouter nos émotions, de mieux nous connaître, d’apprendre à communiquer non pas sur un mode de confrontation à l'autre mais sur un mode d'affirmation de nos besoins et d'écoute des besoins de l'autre, nous pourrions construire des sociétés basées sur des rapports plus sereins et plus constructifs. Je vous laisse avec ces réflexions.
Je voulais aussi vous remercier. Vous êtes nombreux à m'avoir envoyé des commentaires, des suggestions de sujets à traiter, à me faire du feedback sur ce podcast qui a dépassé la barre des 1200 téléchargements sur 6 épisodes. C’est énorme pour moi, ce n'est pas viral mais c'est quand même pas mal. Du moins, c'est beaucoup mieux que ce que j'avais projeté, donc c'est chouette ! Je vous remercie beaucoup, cela m'encourage aussi à continuer vous apporter des des sujets qui me tiennent à cœur. Merci beaucoup et à très vite !
Crédit photo : 123rf
[1] Discours de la méthode : Pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences – René Descartes – Éditions J’ai Lu 2021 [2] The Myth of Normal: Trauma, Illness & Healing in a Toxic Culture – Gabor Maté – Ebury Digital 2022 [3] L'Erreur de Descartes: La raison des émotions – Antonio Damasio – Éditions Odile Jacob 2010 [4] Ces émotions qui nous dirigent: Comprendre nos émotions, cultiver ce qui nous renforce, optimiser nos choix de vie – Bernard Anselem – Alpen Éditions 2021 [5] L'intelligence émotionnelle : Accepter ses émotions pour développer une intelligence nouvelle – Daniel Goleman – Éditions J’ai Lu 2003 [6] Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) – Marshall Rosemberg – Éditions La Découverte 2016 [7] Lien vers le post mentionné : https://www.ithacoach.com/post/2015/02/16/la-science-du-bonheur
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